La commune de Milwaukee, dans l’Etat du Wisconsin. Le 22 juillet 1991, Jeffrey Dahmer, « le cannibale de Milwaukee », est arrêté par la police dans son appartement numéroté 213, situé au 25th North Street. C’est une affaire criminelle qui a défrayé la chronique. Un locataire discret et introverti d’une trentaine d’années commet l’irréparable, et plus encore : 17 meurtres recensés, des restes de corps humains retrouvés dans son appartement. Une vision d’horreur laissant imaginer la souffrance et la terreur qu’ont subi les victimes de ce profil criminel complexe. L’histoire de Jeffrey DAHMER demeure à ce jour, une véritable énigme pour les psychiatres.
Des parents absents Jeffrey Lionel DAHMER, surnommé « Jeff », est né le 21 mai 1960 à Milwaukee dans le Wisconsin. Il décédera le 28 novembre 1994, assassiné par l’un de ses codétenus, à la prison de Portage dans le Wisconsin. Tout commence durant la grossesse de Joyce Dahmer. Si vous avez visionné la récente série Netflix, vous avez surement relevé l’état physique et psychologique de la mère de Jeff durant sa grossesse. Son mari, Lionel Dahmer, a par ailleurs déclaré que son médecin lui prescrivait divers médicaments afin de gérer son état de santé mentale. Des causes relatives au déroulement de la grossesse pourraient s’analyser d’un point de vue criminologique, mais actuellement, les théories relatives à l’origine de troubles chez le nouveau-né, sont globalement centrés sur « l’alcoolisation fœtale ». Néanmoins, Jeffrey Dahmer semble avoir grandi dans un foyer normal, et aurait vécu une enfance normale jusqu’à l’âge de 8 ans où certains traits de sa personnalité commencent à émerger. Si l’on s’intéresse à l’environnement familial dans lequel Jeff a évolué, nous pouvons déjà observé et analysé certaines carences. D’une part, et ses parents ne l’ont jamais nié, il a été longuement spectateur de conflits conjugaux. Plus largement, il n’a pas bénéficié de l’attention de ses deux parents. Nous vous invitons à aller consulter l’article sur Guy Georges, dans lequel sont analysés les conséquences d’une absence d’attachement primaire sur le passage à l’acte criminel. Jeffrey Dahmer n’a pas pu établir de lien avec sa figure d’attachement primaire, soit sa mère. Dépressive et névrosée, Joyce Dahmer, et surtout après la naissance du second enfant, David Dahmer, a longuement lutté contre ses troubles de la santé mentale. Il existait déjà des carences affectives. Son image d’identification s’est retrouvée viciée dès lors qu’il n’a pas bénéficié d’une mère « disponible, structurante, apportant sécurité affective, amour, et valorisation ». Néanmoins, il semble ne s’en être jamais plaint. Si l’on observe les formes d’attachement (Cf. Profil criminel de Guy Georges), nous comprenons que Dahmer a fait preuve d’un « attachement évitant ». Rappelez-vous l’importance de l’attachement, de ce lien affectif fondamental à son propre sentiment de protection et de sécurité, favorisant notre autonomisation personnelle. Dahmer n’a pas bénéficié de la présence de sa mère, et cette absence n’a pas été compensée par le rôle de son père, puisque celui-ci tendait à travailler au maximum afin d’éviter sa femme et plus largement le foyer familial. Lorsque les parents sont distants ou manifestent des signes de rejet, un attachement insécure tend à se développer. C’est alors qu’émerge un comportement d’évitement, et une forme d’indifférence. Les émotions ne parviennent alors pas à être exprimées, ressenties ou encore identifiées. On parle alors d’indifférence à l’égard de ses propres émotions mais également de celles des autres. Une enfance perturbée Les premiers traits de personnalité de Dahmer émergent vers l’âge de 8 ans. Dans son livre « A Father’s Story », Lionel Dahmer déclare que son fils commençait à ressentir « une peur étrange […] se faufiler dans sa personnalité, une peur des autres, combinée avec un manque général de confiance en soi. Il développa une réticence à changer, un besoin de sentir l’assurance des endroits familiers. La perspective de devoir aller à l’école l’effrayait. Le petit garçon qui, auparavant, semblait si heureux et sûr de lui avait été remplacé par une personne différente, qui était maintenant très timide, distante, presque non communicative ». C’est un développement de personnalité très intéressant. En effet, Jeffrey Dahmer n’a jamais fait l’objet de violences physiques ou psychologiques au sein de la famille, hormis la négligence et l’absence des parents. Il a grandi en se renfermant sur lui-même, coupant tout lien avec le monde extérieur. On pourrait considérer que Jeffrey Dahmer a fini par considérer « l’Autre » comme un simple corps composé de matières. On observera par la suite que cette idée représentait toute la fascination de ce criminel.
1. Son intérêt pour les animaux Son intérêt pour les animaux ? C’est un point intéressant du développement de sa personnalité. Vous l’avez également observé dans la série Netflix, il s’adonnait régulièrement avec son père, à la dissection et l’étude des espèces animales retrouvées mortes dans la nature. Il les démembrait chez lui ou derrière sa maison. Son père déclarait que lorsqu’il trouvait et enlevait des os d’animaux sous la demeure familiale, le visage de son fils s’illuminait et en était ravi. C’est à ce moment-là, vers l’âge de 4 ans (1964) que Jeff Dahmer a commencé à collecter et stocker des cadavres d’animaux. Un exemple reflétant ses expériences particulièrement sombres : décapitation des rongeurs, blanchiment des os de poulet avec de l’acide, il aurait même clouer la carcasse d’un chien sur un arbre et planta sa tête coupée sur un pieu. Dahmer admettait aimer voir l’intérieur des animaux, leurs organes internes plus précisément. Cette passion déviante était-elle le point de départ du parcours criminel morbide de Jeffrey Dahmer ? Peut-être. 2. Son hernie discale A l’âge de 6 ans (d’autres sources mentionnent l’âge de 4 ans), Jeffrey Dahmer a subi une double opération à la suite d’une hernie discale. Son père a notamment déclaré qu’un changement de comportement avait eu lieu après cette chirurgie. Il explique que son fils avait une réelle frayeur de se faire « couper le pénis » durant l’opération. Il n’aurait pas hésité, après la chirurgie, à demander à sa mère si les médecins l’avaient fait ou pas. 3. La naissance de son petit-frère En 1966, la famille Dahmer déménage à Doylestown, dans l’Ohio. C’est alors que Joyce Dahmer tombe enceinte de son second enfant, prénommé David. C’est une nouvelle épreuve à vivre pour Jeffrey. En effet, certains de ses professeurs (il a commencé son parcours scolaire à la « Hazel Harvey Elementary School » à Barberton) ont déclaré que Jeffrey se sentait de plus en plus négligé. S’il fait déjà preuve de solitude en tant que fils unique, l’intérêt qui était apporté à son frère a eu un effet sur son isolement psychologique.
Une adolescence refoulée L’environnement social de Jeffrey Dahmer ne se développe pas durant son adolescence. Il est toujours seul, sans véritable ami. Son alcoolémie s’observe dès ses années lycée, après que certains camarades de lycée relatent qu’il introduisait secrètement de la bière et de l’alcool fort en classe. Il commence donc à boire à l’âge de 13 ans, soit en 1973. C’est une période qui donne également lieu à l’affirmation de son orientation sexuelle. Néanmoins, il ne l’a jamais dévoilé. C’est par ce secret bien gardé que des fantasmes sexuels vont se développer dans l’esprit de Jeffrey. Dahmer était une personne très introvertie, en plus d’être timide. Il n’a jamais exprimé ses sentiments (cf. Comportement évitant), il gardait tout pour lui. Il ne faisait preuve d’aucune communication. Cela explique-t-il la naissance, le développement, et le renforcement de fantasmes sexuels, jusqu’à devenir déviants ? Peut-être.
1. Etat des lieux de la personnalité criminelle de Jeffrey Dahmer Une étude comparative sur les tueurs en série masculin et féminin du XXe siècle nous a permis d'appréhender cette occasion, j’ai appréhendé la notion de personnalité criminelle. Diverses questions se devaient d'être posées: pourquoi un individu passe-t-il à l’acte ? Répond-il à des pulsions ? Est-il dominé par ses émotions ? Quel est le véritable impact de son développement psychopathologique ? La notion de personnalité criminelle repose sur plusieurs théories criminologiques : « la personnalité est une notion regroupant un ensemble de caractéristiques que possède une personne et le rendant ainsi unique par rapport à n’importe quel autre individu ; elle tient son origine du latin « Persona », signifiant le masque que portaient les acteurs de théâtre, correspondant alors à un trait de caractère spécifique du rôle qu’interprétait les comédiens ». La personnalité se développe tout au long de la vie d’une personne, et peut se définir comme étant le résultat de l’intégration dynamique des composantes cognitives, émotionnelles et comportementales. On peut alors parler de traits de personnalité ou « prédicteurs », évoluant en fonction de divers évènements survenus tout au long de la vie. Nous retrouvons l’enfance de l’individu, les antécédents criminels, l’état mental ou encore l’attitude sociale. • Des paraphilies bien ancrées Une paraphilie est un fantasme, un comportement sexuel portant sur des objets animés, des enfants ou encore des animaux. On parle alors de « trouble paraphilique » déviant pouvant impliquer souffrance et humiliation de soi-même ou d’autrui. Jeffrey Dahmer souffrait indubitablement de plusieurs paraphilies, notamment la nécrophilie. Il admettait avoir des relations sexuelles avec ses victimes après les avoir tuées, et avait plus généralement une excitation sexuelle dans le cadre de ses crimes. Il n’était toutefois pas un criminel sexuel sadique dès lors qu’il ne prenait pas plaisir à voir ses victimes être terrifiées ou en souffrance. Comment expliquer cela ? Pour rappel, Jeffrey Dahmer a toujours gardé le silence sur sa sexualité. Il a fini par nourrir des fantasmes sexuels bien ancrés. Il admirait le corps masculin, et a notamment fait une fixation sur le haut du corps. En effet, et vous avez pu le voir dans la série, il se posait régulièrement sur le torse de ses victimes (le ventre et le cœur). La gravité de ses actes criminels rend toutefois difficile leur compréhension et explication. On ne peut ignorer sa tendance au cannibalisme. C’est une forme de paraphilie tendant à se procurer un plaisir sexuel à consommer des parties du corps humain. Par exemple, Jeffrey Dahmer a déclaré vouloir essayer de manger le biceps de l’une de ses victimes car sa forme et sa taille l’attirait. Sa dernière paraphilie est la pédophilie. En effet, il a été arrêté à plusieurs reprises pour avoir exhibé ses parties intimes devant des enfants, et également pour en avoir agressé sexuellement. Deux de ses victimes, James Doxtator, jeune garçon prostitué, et Konerak Sinthasomphone, étaient toutes deux âgées de 14 ans. • Des troubles de la personnalité Au fil du temps, il s’isolait de plus en plus socialement. Jeffrey Dahmer avait des troubles de l’identité, une certaine difficulté à gérer son impulsivité (on peut relier cela à une intolérance à la frustration, le rôle de la mère ayant une place importante dans la gestion de la frustration de l’enfant), des carences affectives et sociales très importantes, et un disfonctionnement psychologique. Il n’a jamais su expliquer pourquoi sa personnalité s’était développée de la sorte. C’est d’ailleurs un véritable travail qu’ont essayé de mener les experts psychiatres, afin de comprendre la psychologie de Jeffrey Dahmer. Les interactions sociales étaient chaotiques chez Jeffrey Dahmer. Il n’avait aucun ami, il n’était pas proche de ses parents. Sa seule véritable relation était avec sa grand-mère, qu’il aimait profondément. Il était terrorisé par l’abandon et nous avons pu observer qu’il passait à l’acte dès lors qu’il sentait perdre le contrôle sur ses victimes, ou que celles-ci souhaitaient partir de chez lui. On aurait pu penser que Jeffrey Dahmer était psychopathique, dès lors qu’il considérait ses victimes comme des objets, de simples choses servant à lui procurer excitation sexuelle, plaisir, pouvoir et domination. Son envie de posséder le corps humain masculin était absolu. Pourtant, il n’y avait pas d’élément attestant d’une forme de psychopathie, les experts expliquant qu’il savait très bien la gravité de ses actions, sans pour autant pouvoir les expliquer : « il est difficile pour moi de croire qu’un être humain a pu faire ce que j’ai fait, mais je sais que je l’ai fait ». Enfin, Jeffrey Dahmer souffrait de certaines symptômes de dépression, accentués par une consommation régulière (une réelle dépendance en réalité) d’alcool. Il avait notamment déclaré que perdre son travail aurait été une bonne raison de se suicider (Schwartz, 1992). L’addiction à des substances telles que l’alcool ou encore les stupéfiants sont généralement reliées aux paraphilies et à la dépression, car elle permet de faire barrière ou d’éviter certains sentiments ou certaines émotions, trop douloureux à supporter pour l’individu concerné. 2. Modus operandi et choix des victimes Enfin, quelques mots sur le choix des victimes et le mode opératoire de Jeffrey Dahmer, deux éléments du profilage criminel permettant d’observer d’un point de vue pratique la personnalité criminelle d’un tueur en série. S’agissant du mode opératoire, il procédait toujours de la même façon. Il se rendait dans des espaces publics dédiés aux homosexuels (discothèques, bains publics). Il droguait alors ses victimes pour pouvoir avoir un contrôle absolu sur elles (somnifères). Comme vous avez pu l’observer dans la série Netflix, il proposait en général de réaliser des photographies en échange d’argent. Tous les troubles paraphiliques et de la personnalité de Jeffrey Dahmer s’observaient après qu’il tuait ses victimes : comportements sexuels déviants, nécrophilie et cannibalisme. Il observait son milieu, choisissait sa victime, n’hésitait pas à faire preuve de séduction, tout en offrant un verre d’alcool toujours mélangé à des somnifères, puis lorsque sa victime s’était endormie, il passait à l’acte. Après avoir entièrement disposé d’elle, il procédait à la mutilation et le démembrement. Il prenait des photos, et n’hésitait pas à en conserver certaines parties. Les policiers ont notamment découvert plusieurs têtes dans son frigo, des ossements… Il plongeait les corps dans sa cuve d’acide pour en enlever la chair. Au début, il ne savait pas forcément quoi faire des restes du corps humain, et a notamment déclaré : « la première fois, je n’ai pas su quoi faire avec les restes du corps. Mais une fois que j’ai commencé à le faire, c’est devenu sexuellement excitant pour moi ». S’agissant du choix de ses victimes, Jeffrey Dahmer avait une attirance particulière pour les hommes noirs. Néanmoins, lorsqu’il a fait l’objet d’une première impulsion meurtrière, sa première victime était un homme blanc. Durant son parcours criminel, une minorité de victimes relevait de groupes ethniques différents. Il s’agissant de victimes assez jeunes, âgées entre 20 et 30 ans. Le choix de cette tranche d’âge reflétait son admiration pour le corps masculin svelte et élancé. Jeffrey Dahmer est sans aucun doute l’un des tueurs en série les plus marquants de son siècle. BIBLIOGRAPHIE - « La personnalité criminelle », I. GIRARD, psychocriminologie, 7 mai 2018. - « Traité de droit pénal et de criminologie », P. BOUZAT, J. PINATEL, 1963. - « Jeffrey Dahmer », Serial Killers, Crime Museum, Copyright 2022 Crime Museum, LLC – All Rights Reserved/Privacy Policy/Accessibility. - « Présentation des paraphilies et des troubles paraphiliques », George R. Brown, MD, East Tennessee State University, avril 2021. https://www.msdmanuals.com/fr/accueil/troubles-mentaux/paraphilies-et-troubles-paraphiliques/pr%C3%A9sentation-des-paraphilies-et-des-troubles-paraphiliques - « Where is Jeffrey Dahmer’s Biological Mom, Joyce Dahmer, Now ? Plus, Her struggle with Mental Health », by Korin Miller and Sabrina Talbert, October 2022 https://www.womenshealthmag.com/life/a41500620/jeffrey-dahmer-mom-joyce-now/ - « Jeffrey Dahmer, portraits”, Emily Tibbatts, 7 septembre 2002, tueursenserie.org – Emily Tibbatts – 2001/2002 », https://www.tueursenserie.org/jeffrey-dahmer/ - Jeffrey Dahmer, Information summarized by Valerie Casey, Liz Clagett, Bo Allen, Lauren Williams, Department of Psychology, Radford University, Radford, VA 24142-6946, file:///C:/Users/Master%20K/Downloads/jeffrey-dahmer-info.pdf - http://murderpedia.org/male.D/d/dahmer-jeffrey.htm - « Jeffrey Dahmer: His complicated, Comorbid Psychopathologies and Treatment Implications”, Abigail Strubel, M.A., The new school Psychology Bulletin, Volume 5, No. 1, 2007 ».