Je m’apprête à vous expliquer en quelques mots certains éléments que j’ai eu à appréhender dans le cadre de mes travaux de recherche réalisés durant mon master 2 dirigé par la professeure Eudoxie Gallardo, eu égard notamment à la psychopathologie de l’individu. Mon objectif, d’un point de vue criminologique, est de comprendre le phénomène de passage à l’acte en m’appuyant sur le parcours de vie de l’auteur, et plus particulièrement sur des périodes de vie spécifiques ayant des conséquences importantes sur la construction de sa personnalité. Ainsi, en deux parties, je vous exposerai un état des lieux du développement infantile pouvant entrainer un passage à l’acte délinquant ou criminel et je tenterai de démontrer l’impact d’une évolution complexe de l’enfant, sur la construction de sa personnalité criminelle. Pour appuyer mes propos, je prendrais pour illustration un profil criminel reconnu qu’est Guy Georges, un tueur en série français aussi connu comme « le tueur de l’est parisien ». Pour rappel, un meurtrier en série tue successivement au moins 3 personnes, avec des intervalles libres, volontairement et sans mobile toujours apparent
Pourquoi parler de développement psychopathologique de l’individu ? En réalité, c’est un domaine très important qui permet de comprendre les rapports qu’entretiennent les criminels avec l’Autre. La psychopathologie peut être intéressante afin de tenter de comprendre comment un individu parvient à générer une, voire plusieurs victimes. Les pathologies sont déterminantes dans les relations entre êtres humains. Elles s’appréhendent dès la naissance de l’individu. Si certaines pathologies peuvent émerger à ce moment-là, d’autres peuvent se développer au cours de la vie. Dès son plus jeune âge, un enfant est influencé par les premières acquisitions d’échanges au sein de son environnement, notamment grâce aux échanges entre la figure maternelle et lui-même : il s’agit du concept de l’attachement primaire, défendu par le psychiatre et psychanalyste anglais John BOLWBY. Il a notamment travaillé sur la séparation et le fait que le comportement d’attachement et d’exploration du monde extérieur, sont en balance. Le principe de sa théorie est que le processus d’attachement de l’enfant à une figure maternelle est une part essentielle de l’espèce humaine et de sa survie (Bolwby, 1958). Ainsi, il place les expériences de séparation avec la figure maternelle en tant qu’élément central de l’apparition de la pathologie. Il faut comprendre que l’individu, pour se développer, a besoin de trois caractéristiques principales, toutes issues de son image d’identification, c’est-à-dire la mère : celle-ci doit alors être disponible, être structurante, et lui apporter sécurité affective, amour et valorisation. A défaut de tout cela, l’individu rencontrera des difficultés à développer une certaine forme de tolérance à la frustration, à connaitre certaines limites et à prendre conscience de la notion d’interdit. La sociabilité de l’être humain dépend alors largement du sentiment de sécurité que sa mère parviendra à lui faire ressentir
Cette théorie s’applique-t-elle au profil criminel que j’ai décidé d’exposer, c’est-à-dire Guy Georges ? Né le 15 octobre 1962, il avait le nom de Guy Rampillon jusqu’à l’âge de 4 ans. Actuellement, il est encore en vie et purge une peine de RCP pour le meurtre de 7 victimes, de jeunes femmes épanouies. Je vais appréhender les liens qu’entretenait Guy Georges avec sa mère. Son père, George Cartwight, un soldat noir américain dut rentrer dans son « pays », après décision des autorités américaines. Dès son plus jeune âge, Guy Georges se retrouve donc seul avec sa mère, Hélène Rampillon. Le premier élément très important de sa vie et pouvant être sollicité dans l’étude de ce profil criminel est le secret de sa naissance. Si sa mère ne voulait pas s’en occuper, ses grands-parents auraient pu prendre le relais, mais dès lors qu’ils ont appris qu’il était de couleur de peau noir, ils décidèrent immédiatement de le rejeter. Confié à une nourrice, il est placé dans une famille d’accueil après que la DDASS soit mis au courant de son existence en 1963. Il n’eut plus jamais de contact avec sa mère. C’est très important. Sa figure maternelle ne fut jamais présente et cela dès sa naissance. Ainsi, Guy Georges n’obtint ni sentiment d’amour, ni valorisation, ni transmission et apprentissage de la notion d’interdit permettant de comprendre les frontières entre le bien et le mal, ni d’aide dans la gestion de la frustration. Il n’eut aucun code social. S’agissant de sa famille d’accueil, celle-ci avait déjà 5 autres enfants. En son sein, Guy Georges n’avaient que très peu de démonstration d’affection, la mère adoptive étant autoritaire et castratrice à son égard, éléments qui ont pu être obtenus dans le cadre d’un examen psychologique réalisé sur lui lorsqu’il avait 12 ans. D’un point de vue plus pratique, comment fonctionne cette théorie ? Quel en est le déroulement ? L’enfant, dans un premier temps, établit une première relation avec un figure stable et durable, selon son propre style d’attachement, il s’agira en général d’une personne apaisante et largement présente, ce qui favorise l’auto- régulation de l’enfant. Par la suite, celui-ci devra bénéficier d’une base de sécurité afin d’aller explorer le monde et développer une forme d’autonomie. Une exploration stable signifie que l’enfant est capable d’aller à la découverte du monde et qu’en cas de peur, il saura que sa figure d’attachement est présente et qu’il pourra la retrouver quoi qu’il arrive. C’est en fonction de toutes ces expériences que les enfants créent ce que l’on appelle des « modèles internes opérants ». Ces MOI sont issus des interactions que l’enfant va observer entre lui et sa mère, ou auprès d’autres enfants. Celles-ci vont nourrir des « expectatives », des attentes que les enfants vont développer dans certaines situations. C’est ce mécanisme qui va leur permettre par la suite de vivre au sein d’un groupe en adoptant ces expectatives dans leurs relations avec les autres. Ainsi, si le lien maternel n’existe pas ou se brise, de graves conséquences peuvent être encourues, et notamment la psychopathie sans affect, pouvant être constatée chez les tueurs en série ainsi que dans leur perpétuelle recherche de victimes, et ce fut le clairement le cas de Guy Georges, qui, par son parcours infantile, développera une personnalité psychopathique que l’on approfondira à la suite de mes propos. Les liens lacunaires entre la figure d’attachement et l’enfant ont des conséquences, donnant ainsi lieu à des difficultés cognitives, sociales et émotionnelles à long terme, et cela pouvant alors inclure délinquance et criminalité. La majorité des chercheurs considère que les tueurs en série possèdent des troubles de la personnalité très sévères, majoritairement liés à leurs relations sociales, c’est-à-dire des personnalités antisociales, narcissiques, et borderline, le plus souvent complété par un sadisme sexuel. Guy Georges n’a jamais eu l’occasion d’intégrer des « expectatives » de par l’absence de modèle maternel. Il devient solitaire très rapidement dès lors qu’il se retrouva dans cette famille d’accueil nombreuse, majoritairement féminine. Par ailleurs, il était précisé que le village était très peu peuplé, et malgré sa gentillesse et sa timidité, la solitude vint à lui directement. Ses repères étaient inexistants sachant que la DDASS s’occupa du changement de nom, du changement de lieu de naissance. Imaginez un enfant, à l’âge de 6 ans, en plein développement et exploration de son monde autant intérieur qu’extérieur, sans parents biologiques, sans aucune information sur le nom des parents ou le lieu de naissance, sans figure d’attachement, sans repère maternel ou paternel, accueilli dans une famille ayant déjà une pluralité d’enfants. Comment y trouver sa place ? C’est extrêmement difficile et complexe et c’est sur cela que je voulais m’y attarder.
Le tableau ci-dessous (Bartholomew et Horowitz, 1991) illustre l'existence de diverses formes d’attachement, la plus équilibrée et stable étant l’attachement sécure, favorisant l’autonomisation de l’enfant. Celle qui nous intéresse dans le cas de Guy Georges est « l’attachement évitant » : L'attachement évitant peut provoquer chez la personne affectée la création de modèles d'anxiété, d'évitement et d'autres attitudes qui l'aideront à se sentir protégée face aux carences affectives. En effet, il est généré par le manque d’attention et de sécurité nécessaire pendant le développement de l’enfance, accentué par des attitudes de rejet de la part des parents. Les problèmes au sein des relations sociales vont alors s’accentuer, les individus concernés ayant des difficultés à identifier leurs émotions et ayant alors tendance par la suite à développer une indépendance finalement fictive, accompagnée d’une indifférence face à certaines situations. Quoi qu’il en soit, l’enfant n’est plus affecté par la séparation. Il se focalise sur les jouets car ce sont des jeux de manipulation et d’empilement (lego). L’enfant s’accroche ainsi beaucoup plus aux jouets qu’aux personnes. Cet enfant évite la proximité et le contact au sein des groupes, à l’inverse de l’enfant sécure. Guy Georges, sans exemple ni figure d’attachement primaire s’est donc, de façon indépendante, construit sa propre personnalité en s’inspirant d’un personnage fictif « Joe », un indien solitaire suspecté de meurtre. Il s’adonnait seul à la chasse après avoir volé un couteau, son unique passion étant l’observation et la traque des animaux (construction de son personnage à l’image d’un autre personnage fictif indien, solitaire et seul, qui errait à travers le monde). Par la suite, Il réalisa des vols de façon très prématurée, et dès l’âge de 10 ans, il commis ses premiers actes délinquants.
L’approche de la personnalité criminelle reflète une lecture psychopathologique du passage à l’acte, méthode ayant tendance à se développer au fil du temps (on étudie alors l’individu, non plus seulement l’acte criminel). Pourquoi un individu passe-t-il à l’acte ? Répond-il à des pulsions ? Est-il dominé par ses émotions ? Quel est le véritable impact de son développement psychopathologique ? Pour tenter de répondre à toutes ces questions, il est important de déterminer au préalable ce que signifie le terme « personnalité ». La personnalité est une notion regroupant un ensemble de caractéristiques que possède une personne et le rendant ainsi unique par rapport à n’importe quel autre individu. Elle se développe tout au long de la vie d’une personne, et peut se définir comme étant le résultat de l’intégration dynamique des composantes cognitives, émotionnelles et comportementales. Par exemple, il existe des traits appartenant à la notion de sociabilité, ou tout simplement le fait d’être une personne anxieuse, ou active, rigoureuse, ou ambitieuse… Chaque caractéristique est individuelle et permet de distinguer les êtres humains entre eux . Ces attributs se regroupent sous le concept de « prédicteurs ». Ainsi, si les personnalités criminelles de chaque individu sont différentes, les éléments biologiques et psycho-criminologiques sont quant à eux, communs. L’enfance de l’individu est un prédicteur pouvant expliquer la personnalité criminelle. Comment l’observer dans le cas de Guy Georges ? Durant toute sa vie « adoptive » si je puis dire, il était constamment seul, ou entouré uniquement de femmes (la mère et les sœurs adoptives, les frères adoptifs ayant assez tôt quitté le toit), cela ayant développé une image particulièrement vicié de la femme, de par le comportement qu’elles adoptaient à son égard. Par ailleurs, il ne resta pas toute son enfance et adolescence chez sa famille adoptive puisque la DDASS le transféra dans des foyers spécialisés, encadrant et soutenant un peu plus les enfants. Lorsqu’il revenait chez sa famille adoptive les weekends, l’autorité féminine au sein de la maison demeurait très forte puisque Guy Georges finissait par dormir dans le jardin, dans la caravane. Il pensait toujours être exclue de la société à cause d’elle. Quoi qu’il en soit, durant son parcours qui suivit, entre scolarité chaotique, des divers apprentissages au sein des nouveaux foyers soldés par des échecs, sa solitude et son manque de confiance en lui ne cessèrent de s’accentuer. Les agressions sur les femmes s’intensifièrent durant son adolescence, entre violences physiques et vols. Durant l’une d’entre elles, il est reconnu par un témoin et est alors arrêté à Angers, et les experts ont pu alors dresser des premiers éléments sur sa personnalité criminelle, considérant qu’il était « immature, instable, impulsif, présentant un état dangereux et criminologique, pouvant donner lieu à des explosions pulsionnelles d’autant plus violentes qu’elles ont été longtemps réprimées ». Selon les psychiatres, Guy Georges n’était pas guidé par quelconque maladie mentale. Le contact avec la réalité était bien maintenu. Toutefois, il faisait l’objet d’une psychopathie et d’un degré de violence incurable d’après les spécialistes. Comment les experts ont appréhendé Guy Georges ? D’après les experts psychologues, des fantasmes sexuels et pathologies nourrissaient sa vie. Une expertise médico-psychologique de 1999 retraça « une faiblesse, une inconsistance de sa personnalité ne lui permettant pas de maintenir avec force sa position face à des interlocuteurs variés ; trop honteux pour confirmer un aveu, trop fier pour reconnaitre ce qui lui a échappé ; il s’agit d’ambivalence ; il partage la reconnaissance d’un crime, mais s’en dépossède et en perd la maitrise ». Je voulais enfin apporter quelques éléments de théories purement criminologiques afin d’appréhender la façon dont la personnalité criminelle a été abordée par les spécialistes. Trois principaux prédicteurs ont travaillé sur cette notion (Etienne de GREEFF, Jean PINATEL, et enfin, Hans Jürgen EYSENCK), les uns ayant apporté une forme d’influence sur les autres, et je souhaitais exposer l’un de ces travaux que je trouvais à mon sens très intéressant et dans lequel je pouvais y trouver le cas de Guy Georges : d’après EYSENCK, psychologue britannique d’origine allemande de la fin du XXe siècle, Il existe 3 domaines à la source de la structure et du développement de la personnalité d’un individu dont l’une d’entre elles est le « psychotisme » dont les traits peuvent expliquer le niveau de vulnérabilité de l’individu à certains comportements impulsifs ou agressifs (Eysenck, 1967/1976). Ce domaine reflète la personnalité criminelle de Guy Georges mais comment celle-ci a véritablement été dressée ? Les experts l’ont diagnostiqué comme étant psychopathe, « pervers » narcissique (aujourd’hui, nous employons par ailleurs le terme « personnalité » et non plus « perversité »), dénué d’émotion (pas de colère, pas d’agressivité apparente, pas de haine). Il considère la victime féminine comme étant un objet, une simple chose sur laquelle il ressent un sentiment de maitrise absolue (cela reflète tout ce que j’ai déjà pu vous exposer, absence de soutien maternel, développement solitaire, comportement castrateur de la mère adoptive ayant des conséquences sur l’enfant). La création de sa propre identité, de l’image de « Joe l’indien » a permis à Guy Georges de traquer des femmes aussi bien que le personnage fictif traquait des animaux, pour les traiter comme bon lui semblait, en faire ses véritables objets, dénués de toute considération d’autrui. Le cas de Guy Georges est très intéressant car les experts ayant eu à intervenir dans son dossier n’ont diagnostiqué ni pathologie mentale, ni absence de discernement ou de conscience de ses actes au moment de la commission des meurtres et viols. Il paraissait aussi craintif envers ses codétenus qu’avide de pouvoir et de violence. Aussi bien les spécialistes que Guy Georges ne parvenaient pas à expliquer ses pulsions incontrôlables de viols et meurtres et c’est pour cela que je souhaitais appréhender ce profil criminel qui permettait à mon sens, d’envisager l’importance d’un développement infantile équilibré et sain. Le sentiment de sécurité qu’apporte la figure d’attachement est fondamental aussi bien pour l’exploration externe qu’interne et son absence chez le délinquant peut permettre de refléter l’absence de confiance en soi mais également la confiance envers autrui, favorisant ainsi le passage à l’acte par une absence d’affects et autres considérations psychologiques entre les protagonistes. Si l’impact du développement infantile sur le passage à l’acte n’est pas absolu puisque des profils criminels ne présentent pas nécessairement des milieux sociaux viciés par une enfance difficile, il a toutefois son importance. Dans le cas de Guy Georges, je pense que l’enfance a eu son rôle à jouer, et cela se retrouve lorsque les policiers ont réussi à le prendre par les sentiments afin de le faire avouer, en le troublant dès lors qu’ils ont appréhendé la notion de « mère » : « Nous l’avons eu par les sentiments. En partant sur la notion de mère, nous l’avons désarçonné et troublé. On ne s’est pas adressé à « Joe the killer » ou à Guy Georges, mais à Guy Rampillon ».